Ne perdons rien du passé. Ce n'est qu'avec le passé qu'on fait l'avenir. (Anatole France)

Lettre ouverte aux Archéologues.



Mesdames, Mesdemoiselles et Messieurs les archéologues,
Nous sommes des « prospecteurs », des « détectoristes », des « détecteuristes », mais peu importe, au fond, le nom que nous nous donnons, ou celui qu'on nous attribue : nous sommes avant tout des passionnés d'histoire locale, cette petite histoire sans laquelle la « grande » ne serait rien de plus qu'une grande leçon sans exemples. C’est aussi un droit au savoir qui est tout à fait légitime. Ce phénomène de société représente quelques milliers de passionnés, et sans vraiment pouvoir avancer de chiffre précis, une chose est sûre : nous existons.
Nous promenons à travers la campagne nos divers appareils, que certains appellent amicalement une « poêle à frire », mais que d'autres s'évertuent à excommunier à grand cris. Que faisons-nous vraiment avec cette machine diabolique ? Nous arpentons la campagne au gré de randonnées ludiques, nous ramassons des quantités astronomiques de déchets métalliques le plus souvent récents. C'est malgré tout un fragment de notre histoire, c'est un fragment de la vôtre, c'est un fragment universel : l'Histoire appartient à tout le monde, et cela explique qu'elle reste une préoccupation nationale. Dans ce cas, nous notons l'emplacement, et parfois même nous tentons, si l'on nous en donne la chance, si nous avons quelque relation au sein de ce cercle parfois difficile d'accès, de le déclarer aux autorités archéologiques. Mais les obstacles sont nombreux, et nous arrivons à un moment où les portes se ferment, où même des directeurs de SRA sont critiqués pour avoir accueilli l'un des nôtres... Généralement, le détecteuriste serait pourtant prêt à montrer ses trouvailles à qui veut les voir, pourvu qu'il soit respecté dans sa démarche.
En citoyens respectueux des lois, du patrimoine et de ceux qui en ont la charge, nous évitons les sites archéologiques et leurs abords, qu'ils soient classés ou non ; en connaisseurs de nos zones de promenade, nous savons le plus souvent éviter les endroits potentiellement intéressants pour l'archéologie. Notre occupation, croyez-le ou non, n'est pas un passe-temps de vandale attiré par l'hypothétique valeur d'un objet, non ! Soyons honnêtes : nos découvertes nous procurent joie et connaissance, vite taxées d'égoïsme par certains. Simplement, au bord d'un trou somme toute assez discret quand il est bien fait, nous contemplons nos modestes trouvailles. Cette monnaie de Napoélon III, que fait-elle ici ? Qui l'a perdue ? L'Histoire doit être matérialisée : si l'objet n'est pas l'Histoire, s'il n'est pas l'Archéologie, il leur apporte un éclairage nécessaire, notamment pour le grand public.
Mais on nous accuse, dans vos rangs, de détruire une somme considérable d'informations en prélevant « de façon anarchique » tous ces objets « potentiellement » intéressants pour l'archéologie et l'histoire. Qu'en est-il vraiment ? Les objets que nous découvrons proviennent rarement d'une profondeur de plus de 30 cm. Iriez-vous creuser un trou à 45 cm, sans être sûr qu'il ne s'agit pas d'un vulgaire couteau d'engin agricole ? Cette couche-là est le plus souvent raclée lors des fouilles, quand il y en a. Il faut de la pédagogie, il faut du temps et du tact pour que tout cela soit bien compris ; le nombre d'idées fausses qui circulent dans un camp comme dans l'autre ne rendent pas les débats plus brillants, hélas. Certains archéologues pensent que les magazines et les publicités de certains vendeurs de détecteurs reflètent la réalité du prospecteur-type, à savoir un Indiana Jones sur le retour, à la recherche de « trésors » d'or et d'argent. Il s'agit du plus élémentaire argument de vente, et nombreux sont ceux qui en découvrent vite la vanité, en rangeant leur détecteur au fond d'une armoire, après avoir constaté que la détection ne rapportait rien.
La détection n'est pas une science, et il est évident qu'elle ne pourra jamais s'inscrire dans une démarche scientifique pour tous ceux qui la pratiquent : mais pourquoi ne pas trouver un chemin alternatif ? Nous affirmons qu'une détection pratiquée avec discernement ne détruit pas des données archéologiques : bien au contraire, elle explore à grande échelle des zones où l'archéologie, quoi qu'en disent certains optimistes, ne passera jamais. Cette phrase pourrait faire bondir, mais nous demandons avant tout des positions réalistes, pragmatiques, et non des positions farouchement doctrinaires. Un simple calcul suffit à montrer que le détecteuriste lambda, « du dimanche », n'est pas un destructeur : il est clair aujourd'hui que la majeure partie de l'activité archéologique intervient lors de travaux. Citons donc Jean-Paul Demoule(1) à ce propos : " sur les 70 000 hectares annuels que nous mentionnions en introduction [ndlr: retournés par les lames des pelleteuses et des bulldozers], moins d’un sixième font l’objet de diagnostics afin d’y repérer l’existence éventuelle de sites archéologiques – soit environ 1 800 opérations de diagnostic annuelles. Et seulement un quart de ces diagnostics est suivi d’une véritable fouille."(2).
Nous savons que certains lobbys aimeraient bien faire taire/disparaître cette masse de prospecteurs ignares, que les media ont trop souvent montrés comme des brutes assoiffées d'or. Mais comme vous le savez certainement mieux que nous, la télévision a souvent du mal à présenter les situations avec impartialité.
Que serait la science sans l'émerveillement qui l'accompagne ? Nous ne demandons rien d'autre que des oreilles attentives et progressistes, pour éviter le pire au patrimoine. Mais arrêter de détecter ? La chose n'est ni souhaitable, ni même réalisable !
Nous sommes des amateurs d'histoire, sans méthodes mais avec des principes, nous formons un maillage national qui n'est pas utilisé à bon escient, et qui n'est même pas comptabilisé, qui n'a pas de cadres. Nous ne pouvons qu'être révoltés de la dépossession progressive des contribuables dans l'accès à la science archéologique. Prenons n'importe quelle fouille de sauvetage (ou « préventive » pour masquer politiquement des réalités moins glorieuses). Le vulgus pecum n'en aura jamais qu'un aperçu de surface, et n'aura à sa disposition, la plupart du temps, qu'un maigre article dans la presse locale. Les découvertes partent ailleurs « pour études », et finiront, comme d'autres milliers, dans les caves d'un entrepôt quelconque. Nous, simples amateurs d'histoire, déplorons l'impasse dans laquelle se trouve le patrimoine local : les musées locaux peinent à attirer, les rapports de fouille sont confidentiels, les ouvrages sont chers et la vulgarisation, trop souvent, reste l'exploit de quelques personnes, passionnées jusque dans les pires conditions de travail.
Nous nous battons pour la même cause : la joie de connaître le passé avec la plus grande acuité possible. Notre chemin n'est pas scientifique, mais il ne tient qu'à vous de le faire devenir tel, et il en faudrait peu ! Accueillez les prospecteurs, expliquez-leur les gestes, donnez leur les conseils qu'ils méritent : le mépris appelle le mépris, et la confiance appelle la confiance, c'est aussi simple que cela.
Nous imaginons un pays où le patrimoine serait l'affaire de tous, serait accessible, serait médiatisé, serait visible. Les prospecteurs sont réceptifs, et ils aiment le patrimoine ! S'ils pouvaient montrer leurs trouvailles à tous, dans la vitrine d'un musée local, s'ils pouvaient avoir à leur écoute quelqu'un, pour leur dire quoi faire lorsqu'au fond du trou un morceau d'histoire apparaît, s'ils pouvaient être réconciliés avec les autorités archéologiques, alors des collections, plus ou moins modestes, ressurgiraient ; vous verriez se bousculer, à vos portes, des passionnés en quête non de reconnaissance mais de savoir, non de diplôme mais d'estime, non de mépris mais d'amitié ! Voilà pourquoi l'exemple anglais nous paraît propre à développer l'interactivité entre l'archéologie professionnelle et le grand public, via une détection saine, raisonnable, où liberté et encadrement soient maintenus à égale distance, les deux extrêmes étant tout autant inadaptés.
Il ne tient qu'à vous de nous aider à créer, ensemble, ce pays idéal où le patrimoine compte. Ce public peut vous être favorable, et c'est peut-être même dans nos rangs que vous trouverez vos ultimes défenseurs, lorsque parkings et autoroutes hypothèqueront, toujours davantage, vos possibilités de recherche. Des associations se battent contre les préjugés, réunissent les prospecteurs éthiques, ceux qui se sentent aussi concernés que vous lorsqu'un site est pillé, ceux qui voudraient vous parler mais qui n'osent pas. Car des personnages douteux écument l'Internet depuis quelques années, des êtres qui se prétendent archéologues et défenseurs du patrimoine tout à la fois, des individus qui crachent sur tous les prospecteurs, sans distinction aucune ! Devant ces épouvantails, le prospecteur se cache. Et son carnet de trouvaille reste enterré.
Tout le monde y perd. Un public que vous pourriez utiliser pour démontrer que le goût des vieilles choses n'est pas perdu, ce public-là est déclassé, voire injurié dans sa totalité. Si vous tuez cette occasion de nous connaître, si vous tuez cette chance de trouver des alliés là où vous aviez cru voir des ennemis, vous aurez perdu, nous aurons perdu. Les pilleurs, nos ennemis communs, n'auront que faire de nouvelles lois : ils ne respectent déjà rien ! Les prospecteurs honnêtes, eux, disparaîtront dans l'ombre. Lieu de prédilection pour les détecteuristes désireux de savoir ce qu'est telle monnaie, à quelle époque tel bouton était en usage, Internet a déjà subi les assauts de quelques censeurs autoproclamés du patrimoine. Des sites de discussions qui présentaient des objets découverts un peu partout en France ont dû censurer les publications, au détriment de quelques chercheurs en numismatique, en sigillographie, qui voyaient là-bas une chance de renouveler leur corpus de documents. Qui a gagné ?
La balle est dans votre camp, et nous retournons, pour l'heure, dans les prés. N'hésitez pas à nous contacter, nous serons heureux de discuter, entre amis du patrimoine, afin de trouver de sages compromis qui profiteraient à tous. Puisse cette lettre ouvrir les yeux de toutes celles et de tous ceux qui ne voient en nous que vandalisme et rapacité : nous ne sommes pas ça, mais nous subissons, à la place des indélicats, des attaques imméritées qui ne rapporteront rien à personne.
Des détecteuristes honnêtes.

Notes 

Mention légale : 
Article L.542-1 du Code du patrimoine : « Nul ne peut utiliser du matériel permettant la détection d’objets métalliques, à l’effet de recherches de monuments et d’objets pouvant intéresser la préhistoire, l’histoire, l’art ou l’archéologie, sans avoir, au préalable, obtenu une autorisation administrative délivrée en fonction de la qualification du demandeur ainsi que de la nature et des modalités de la recherche. »