Les choses où l'on a volonté, plus elles sont défendues et plus elles sont désirées. (Marguerite de Navarre)

Les effets secondaires de la prohibition..

Prohibition. 
Article dans "La Provence"
du 22/07/2010. (Extrait)
Dans son numéro du 22 juillet 2010, le journal "La Provence", dans sa rubrique "Le dossier du jour", publie, sur deux pages, un excellent dossier titré "Ces fabuleux trésors qui font remonter l'histoire à la surface".
Le sujet est plutôt orienté vers les trésors sous-marins et l'archéologie maritime. On y retrace la découverte des trésors antiques dans le Rhône à Arles, celle d'un port fluvial aux Saintes-Maries-de-la-Mer, ainsi que les fouilles réalisées près du Frioul, à Marseille, par une équipe d'archéologues amateurs.
Comme c'est maintenant habituel dans ce genre de dossier, surtout s'il se veut "politiquement correct", on y trouve un paragraphe "Règlementation", suivi comme son ombre par un paragraphe "Pillage".
Le premier est sous-titré "Déclaration obligatoire". On nous y rappelle que " Toute personne qui découvre un bien culturel maritime (gisement, épave, vestige archéologique), est tenue de le laisser en place. Elle doit dans les 48 heures en faire la déclaration à l'autorité administrative." et que "il est interdit aux plongeurs de prospecter les fonds marins autrement qu'avec leur masque : ni détecteur, ni magnétomètre, ni sondeur".
Tiens, ça nous aurait étonné que le détecteur ne pointe pas son nez ici !  D'autant que c'est très utile pour trouver une épave ou des amphores !
D'ailleurs, puisque l'on parle d'amphores, on lira ci-dessous, notre rélexion du moment...
Le second est lui sous-titré "Trois millions d'objets engloutis dans le monde". Après avoir évoqué la tentation de partir à la chasse aux trésors dans les millions d'épaves sensées dormir au fond des mers, l'auteur y fait une observation frappée au coin du bon sens : "depuis 1989, la nouvelle législation en matière de fouilles est devenue ultra-contraignante. Du coup, peu de découvertes sont déclarées, et la France est devenue un des pays les plus pillés au monde."
C'est là reconnaître qu'une législation contraignante ne peut que faire augmenter le pillage.
Allégation confirmée par la phrase suivante : "A titre d'exemple, avant 1989, 250 objets étaient déclarés, chaque année, aux autorités. Désormais, on ne les compte plus que sur les doigts d'une main... "
Ca ne paraît pourtant pas dur à comprendre. Depuis la prohibition de l'alcool aux Etats-Unis, de 1919 à 1933, on sait que ses effets sont contraires aux attentes. L'alcool a continué à circuler, souvent frelaté, et son interdiction totale a généré beaucoup d'autres dérives.
Plus près de nous, en France, l'interdiction de la consommation et de la vente de drogue, n'a jamais réussi à en freiner la circulation. Au point que de nombreux hommes politiques et d'associations se demandent si une dépénalisation ne serait pas préférable.
Il faudra bien qu'un jour on admette enfin que la prohibition et l'interdiction ne font qu'engendrer encore plus de pillage !!

Prenons l'amphore en exemple. 
Quand on dit "amphore", on pense tout de suite "épave engloutie". Et quand on dit "épave engloutie", on nous répond "pillage". C'est du presque systématique...
Pourtant, il y a de celà quelques années, la mer était considée comme appartenant "à tout le monde". Les pêcheurs y prélevaient des poissons, des coquillages, des éponges, bref, tout ce que l'on appelle les "produits de la mer". C'était leur métier ! Il arrivait aussi qu'ils remontent des fragments d'amphores ou d'autres éléments archéologiques que leurs filets accrochaient en passant sur une épave.
La vente de ces objets leur permettait d'améliorer leurs ressources qui étaient souvent plutôt maigres.
Des plongeurs en faisaient commerce, car nombreux étaient les collectionneurs ou amoureux de l'histoire qui étaient prêts à payer, parfois cher, pour posséder une amphore romaine, phocéenne ou grecque dans leur salon.
Ces plongeurs étaient simplement tenus de signaler leurs découvertes à la DRASM ("Direction des Recherches Archéologiques Sous-Marines", devenue le 4 janvier 1996 le DRASSM : "Département des Recherches Archéologiques Subaquatiques et Sous-Marines" ) pour identification, et finalement il semble que tout le monde y trouvait son compte.
Mais le 1er décembre 1989 la loi, qui datait de 1941, est modifiée. En stipulant que "les biens culturels maritimes situés dans le domaine public maritime dont le propriétaire n'est pas susceptible d'être retrouvé appartiennent à l'Etat." elle met hors-la-loi toute personne prélevant l'un de ces "biens culturels".
Des plongeurs qui jusqu'ici déclaraient les objets trouvés, indiquaient aux instances archéologiques la position de nouvelles épaves, et fournissaient à des amateurs des amphores découvertes au large devinrent, du jour au lendemain, des "pilleurs d'épaves".
C'est ce qui arrive, par exemple, en 1995 à quatre plongeurs, condamnés pour "vols, importation et recel d'objets archéologiques et dégradation de sites archéologiques".
Dans l'article paru, à l'époque, dans le journal "Libération", on note la phrase suivante : "Désormais, depuis la loi Lang, on ne peut plus y toucher: il faut laisser la pièce au fond de l'eau et la signaler à la Drasm. On est tombé dans l'excès inverse: la prohibition. «Du coup, c'est un encouragement au trafic, estime un gendarme. Les prix ont augmenté. Une amphore qui valait 5.000 francs est passée à 20.000 francs.»".
Une fois encore, les effets pervers du durcissement de la loi et de la prohibition s'étaient fait sentir !
Quelle est donc la situation aujourd'hui ?
Un article paru dans "Le Télégramme" résume assez bien la situation.
    - Le DRASSM doit inventorier et protéger un domaine maritime qui s'étend sur 550.000km². C'est mission impossible !
    - Le DRASSM a besoin de plongeurs passionnés pour repérer les épaves et réaliser, pour lui, des fouilles.
    - Les équipes de pillards se font plus discrètes, mais elles agissent toujours.
Ces mesures auront-elles au moins permis de mettre les amphores à l'abri en les confiant aux bons soins des autorités archéologiques ? On peut en douter, quand on lit, dans un article de "La Provence" du 19 juillet 2010, que le DRASSM s'apprête à remettre à l'eau une centaine d'amphores remontées du fond, voilà 70 ans, par le commandant Cousteau ! Et ceci "dans la mesure où ces amphores ne présentent plus grand intérêt sur le plan scientifique et qu'elles n'intéressent pas non plus les musées...".
Situation pour le moins Ubuesque !
D'un côté, les amateurs, collectionneurs, qui voudraient acquérir une amphore n'ont d'autre solution que de s'adresser à un marché parallèle clansdestin et de se mettre ainsi dans l'illégalité. De l'autre l'Etat en remet à l'eau des centaines, pour reconstituer "sous l'eau, deux sites archéologiques à l'intention des plongeurs sportifs et de loisirs, avec de vrais amphores issues d'une authentique fouille sous-marine.". C'est à dire pour rendre les fonds marins plus intéressants pour les membres des clubs de plongée.
D'un côté prélever une amphore sur le fond marin est un pillage. De l'autre on rejette à la mer des amphores qui n'interessent plus personne !
N'y aurait-il pas une solution plus intelligente qui consisterait à laisser les plongeurs prélever ces objets, en les obligeant simplement à les confier au DRASSM pour étude, identification et inventaire, et leur permettre ensuite de les revendre légalement une fois qu'elles sont "devenues sans grand intérêt" et dans la mesure où elles "n'intéressent pas les musées" ? Ça semblerait logique.
Quel est, aujourd'hui, l'avenir pour une amphore inconnue reposant au fond de l'eau ?
- Si elle reste inconnue, une destruction prochaine par l'eau de mer et/ou les ancres des navires de plaisance, de plus en plus nombreux est probable.
- Si elle est remontée par une personne autorisée, elle sera étudiée, puis refusée par les musées qui n'en ont que trop, et finira au mieux stockée et entassée avec des milliers d'autres sur des étagères, au pire remise à l'eau.
- Si elle est prélevée par un plongeur non autorisé, elle sera vendue discrètement sur un marché parallèle, et finira dans une collection particulière en redoutant une visite probable de la douane et la confiscation pure et simple.
Ce serait amusant si on pouvait demander leur avis !

Quel rapport ? 
Oui, certains d'entre vous vont me demander : Quel rapport y a-t-il entre la pêche aux amphores et la détection ?
La similitude est claire : dans les deux cas, sous le prétexte légitime de lutter contre le pillage, on fait passer des personnes dont la collaboration était autrefois reconnue utile, pour de terribles délinquants.
Plongeurs et UDM non seulement se voient refuser toute nouvelle collaboration avec les milieux archéologiques qui en auraient pourtant bien besoin, mais se voient, en plus, traités de la plus méprisante des manières.
Et dans les deux cas, on le voit, on le lit, on le sait et on le dit, la prohibition ne fait qu'intensifier le pillage. Le vrai ! Et tout cela pourquoi ? Parce que l'on a, aujourd'hui en France, oublié une notion qui était il y a quelques années d'importance : la confiance envers les autres !
Il serait peut-être utile de relire et de méditer les sages paroles du Cardinal de Retz : "On est plus souvent dupé par la défiance que par la confiance."

Références 
Mention légale : 
Article L.542-1 du Code du patrimoine : « Nul ne peut utiliser du matériel permettant la détection d’objets métalliques, à l’effet de recherches de monuments et d’objets pouvant intéresser la préhistoire, l’histoire, l’art ou l’archéologie, sans avoir, au préalable, obtenu une autorisation administrative délivrée en fonction de la qualification du demandeur ainsi que de la nature et des modalités de la recherche. »